Etes-vous atteint du syndrôme de Kalaloch ?

Gregory

J’ai découvert il y a un mois environ l’Arbre de Vie de Kalaloch au détour d’une recherche de métaphore pour parler, lors d’un comité de pilotage, de l’organisation agile de l’un des programmes que j’accompagne.

Je vous propose, dans ce billet, de décrypter cette métaphore.

L’Arbre de Vie de Kalaloch

source : https://www.2tout2rien.fr/tree-of-life-larbre-de-vie-magique-de-kalaloch-beach/

Il s’agit d’un épicéa situé sur la côte nord-ouest des Etats-Unis, plus exactement sur la plage de Kalaloch dans le parc national olympique de Washington.

Sa particularité est qu’à cause de l’érosion, le sable dans lequel étaient plantées ses racines a disparu. Malgré sa condition, l’arbre continue de produire des feuilles et des pousses et semble résister à cette situation extrême.

Avant de lire l’histoire de cet arbre, c’est avant tout l’image qui m’a marqué et qui m’a semblé correspondre avec ce que vit le programme que j’accompagne.

Une métaphore de la transformation agiles des entreprises

Ce qui m’intéressait au travers de cette image était d’illustrer comment s’était organisé un programme que j’accompagnais, à cheval entre méthode V et agilité. Il me permettait d’expliquer la difficulté à modifier le fonctionnement du projet. Cette image a été présentée dans le cadre d’un comité de pilotage du programme auprès des managers et top managers. L’image a fait mouche et le collectif de ce comité a saisi de suite le discours associé.

Pour moi, l’arbre représente ces projets qui tiennent tant bien que mal sur deux dunes : une liée à l’organisation classique des projets de l’entreprise et l’autre sur la mise en place de pratiques agiles. Au centre, un trou, un vide représentant la zone floue, le fait que le projet ait du mal à se positionner entre une volonté de se départir de la gestion de projet historique et une agilité très peu maîtrisée.
Là où nous pourrions dire “à cheval” entre classique et agile, je préfère matérialiser le trou, le vide, le chaos au milieu.

Les racines représentent pour moi l’évolution de l’organisation vis à vis de sa condition peu maîtrisée : augmentation d’instances de synchronisation, réunions scrum dénaturées, personnes cumulant des rôles de gestion de projet classique et rôle agile sans légitimité..
Mais ces évolutions sont en fait compréhensibles, voire même logiques, compte tenu des conditions dans lesquelles se trouve l’arbre.

Et enfin, les feuilles représentent le fait que le programme avance malgré tout.

Maintenant cet arbre est aussi une manière de représenter ce qui se passe lorsque ces projets et programmes veulent se transformer, amener de l’agilité. La demande est de mettre en place des pratiques, des outils, clarifier des rôles, de tailler quelques branches pour rééquilibrer l’arbre qui bien qu’un peu vert pourrait l’être plus. 

Mais la taille des branches ne peut avoir qu’un impact limité, Elle ne règlera pas le problème de manque d’eau et de stabilité de l’arbre.

Ce qui a plus d’impact est de tailler les racines qui sont mal implantées dans les deux substrats (agile et traditionnel) pour encourager la pousse de racines mieux ancrées dans l’agilité.
Cependant, nous ne voyons l’arbre que par dessus, la partie visible, les feuilles et il est difficile de mesurer l’impact systémique d’un travail sur les racines avec, de fait, le risque que l’arbre s’écroule, suite à la perte de repères, la désorganisation, l’impact sur la performance et la maîtrise.

Pour pouvoir désamorcer ce risque, il est fondamental de repenser le socle, le sable et de chercher à renforcer l’agilité en repartant des principes agiles (construction itérative, horizontalité, focalisation…), qui apporteront le terreau nécessaire pour que les racines s’implantent naturellement et simplement et que les pratiques se développent correctement.

Bonus : Les réflexions des gooodien·nes

J’ai partagé ma réflexion et l’histoire de l’Arbre de Kalaloch avec mes collègues gooodiens dispersés entre Paris, Sophia-Antipolis et Lyon.

Ce fût l’occasion de partager des visions différentes et personnelles à partir de cette métaphore.

 

Olivier Lequeux : “L’arbre par contre subit l’érosion du sol donc ça veut dire qu’avant il y avait une situation “normale” ce qui ne semble pas être le cas pour ton équipe. C’est peut-être la limite de l’analogie.”

 

 

Gwenaelle Gautier : On peut y voir une illustration d’une situation qu’on rencontre souvent en tant que coachs : on se retrouve devant des situations qui nous paraissent surprenantes et très bancales ; on se dit que ça ne peut pas marcher et on se demande comment on en est arrivé là … Mais en fait le système ne se porte pas si mal, et c’est une évolution logique (cf le petit ruisseau) … Bon jusqu’à ce que ça soit sur le point de se casser / le système est en train de perdre son équilibre / en tension trop forte, et là on nous appelle.

 

Estelle Vantillard :  Je suis impressionnée par les qualités que développe cet arbre en continu pour garder cet équilibre précaire (depuis des décennies ?) et par analogie avec le projet je vois le potentiel de chaque individu (chaque racine) et la force du collectif (racine entremêlées, entraide tout le monde participe à la priorité #1 rester ancré pour survivre) qui s’adapte continuellement aux contraintes extérieures (érosion)

 

 

Damien Thouvenin :  J’y vois une métaphore de la résilience d’une organisation : ce qu’on voit, qui est manifeste, c’est l’arbre. Mais cet arbre a des racines qui puisent dans le sol. L’entreprise c’est à la fois sa structure visible mais aussi ses sous-jacents invisibles, sa culture, ses racines. Quand l’environnement (le terrain) bouge, l’entreprise peut être déstabilisée mais elle tient grâce à sa culture.

Cela dit, ce qui est une force pour résister à l’adversité est aussi un frein à l’évolution. L’arbre ne peut pas facilement bouger car il est tenu par ses racines, et celles-ci fixent aussi le terrain, comme les plantes sur les dunes, c’est réciproque.

 

Soraya Halata : Rechercher la « cause » de cette situation n’a pas été la chose la plus intéressante dans cette image, ce qui m’a frappé c’est la « créativité » pour rester en vie.

Il y a également l’idée de « casser les idées reçues » en rendant possible quelque chose qui paraissait impensable (continuer à produire des feuilles et des pousses aussi longtemps) .

L’idée également du « soutien » et de « l’adaptation » au milieu en prenant appui sur les ressources à disposition.

 

Stéphane Labati : Paradoxalement, passé le premier moment d’émerveillement sur la résilience de cet arbre qui s’accroche désespérément au maigre substrat qui le maintient encore en vie, c’est à l’homéostasie d’un système organisationnel que j’ai ensuite pensé. On peut le priver progressivement de tout son soutien, le système va trouver des artifices pour assurer sa stabilité, même précaire. Synonyme de survie, ce phénomène explique aussi toute la difficulté que l’on a à faire changer une organisation. Finalement, la rivière qui a creusé son lit directement sous l’arbre n’aura été, bien que spectaculaire, qu’un “changement de type 1”.

 

Sylvie Rabie : Pour se maintenir en vie et produire des feuilles, l’arbre doit mobiliser une énergie considérable. Cette énergie aurait pu être mobilisée pour autre chose que sa survie : grandir plus, produire plus de fruits, ou autre chose. On voit dans les entreprises les efforts gigantesques mis en œuvre pour maintenir une situation, ce qui génère de la fatigue, du stress et le manque de temps pour changer. Terrible paradoxe. Notre rôle serait d’aider à réduire les efforts de survie pour les consacrer au changement, jusqu’au moment où la bascule serait faite vers un système mieux optimisé pour vivre et croître avec moins d’efforts.

 

Et vous alors, il vous dit quoi cet arbre ?